Passer au contenu

/ Faculté de musique

Je donne

Rechercher

Henry Kramer, nouveau professeur de piano à compter de l’automne 2022

Interprétation, sonorité, geste musical et approche de l’enseignement

English version

 

Henry Kramer est diplômé de la Juilliard School, où il a travaillé avec Julian Martin et Robert McDonald. Il a obtenu son doctorat en arts musicaux à la Yale School of Music sous la direction de Boris Berman. Lauréat de plusieurs prix internationaux, dont le premier prix du Concours international de Montréal en 2011 et le deuxième prix du Concours Reine Elisabeth de Bruxelles en 2016, il a également obtenu une bourse de carrière Avery Fisher 2019 du Lincoln Center — l’un des honneurs les plus convoités décernés aux jeunes solistes américains. Soliste brillant, chambriste très recherché et artiste aux nombreux enregistrements, l’enseignement figure parmi les plus grandes joies de Kramer. Il se joindra au corps professoral de la Faculté de musique de l’Université de Montréal à compter de la prochaine année universitaire.

 

  • Comment envisagez-vous votre venue à Montréal, votre installation et votre travail à la Faculté de musique de l’Université de Montréal ?

Je suis vraiment enthousiaste à l’idée de déménager à Montréal, une ville que j’ai toujours aimée. Dès ma première visite, lors du Concours en 2011, j’en suis tombé amoureux.

Mais je vais répondre à cette question du point de vue du travail, car les caractéristiques culturelles de la ville parlent d’elles-mêmes. En ce qui concerne plus précisément l’Université de Montréal, j’ai très hâte de travailler avec les étudiants, qui m’ont révélé, lorsque je suis venu passer mon entrevue, le très haut niveau artistique de la Faculté de musique. L’endroit est magnifique et j’aime déjà les collègues que j’ai pu rencontrer. Ils ont été vraiment accueillants.

Par son côté européen, Montréal est une ville unique en son genre en Amérique du Nord. Par rapport à d’autres villes, y compris au Canada, il y a beaucoup de différences. Je suis donc très impatient de découvrir l’influence artistique que cela pourra avoir. Culturellement aussi, j’ai hâte de voir ce que je peux apprendre du mode de vie de cette ville, de sa sensibilité, qui est bien différente de celle à laquelle je suis habitué.

 

  • Y a-t-il des éléments de votre carrière d’interprète qui ont une incidence sur votre approche de l’enseignement ? Ou des personnes, des artistes, des événements qui vous ont influencé ?

D’abord, mes professeurs à Juilliard et les personnes avec qui j’ai travaillé dans divers festivals : Julian Martin, Robert MacDonald, Boris Berman, puis Leon Fleisher, Miriam Fried, Claude Franck. De travailler avec eux a exercé une énorme influence sur moi. D’une certaine manière, j’ai l’impression que ces mentors m’ont permis d’avoir confiance en moi.

Je dirais aussi que le Concours Reine Elisabeth a marqué un tournant pour moi, de même que l’obtention de la bourse de carrière Avery Fischer et les concerts qui en ont découlé. Je pense que mon diplôme de doctorat m’a également donné l’envie d’aller plus loin.

Sur le plan artistique, mon amour de la musique de chambre influence également mon approche. Je songe par exemple à la possibilité que j’ai de jouer avec la violoniste Isabelle Faust. Et la musique d’orchestre aussi; d’ailleurs, je suis un grand admirateur de Yannick Nézet-Séguin que j’espère rencontrer à Montréal ! Et puis, il y a les pianistes : j’aime les vieux enregistrements, j’adore Michelangeli, Ingrid Haebler et toute cette génération. Ce qui était vraiment génial pour moi, c’est que ma grand-mère avait chez elle les disques de la collection Great Pianists de Phillips, tous des enregistrements historiques rematricés. Ainsi, dès mon plus jeune âge, j’entendais cette sonorité, et c’est quelque chose que je veux vraiment encourager mes élèves à connaître. J’ai remarqué que pour la jeune génération, la référence se limite souvent aux cinq premiers résultats affichés sur YouTube, et Spotify ne suffit pas à organiser ce genre de choses : il y a là un défi à relever !

Je tiens également à dire que dans mon enseignement, j’ai subi l’influence de mes étudiantes et étudiants. C’est comme si vous appreniez davantage sur vous-même lorsque vous avez besoin de communiquer avec quelqu’un, d’expliquer ce que vous considérez comme important. Tant de gens ont des façons différentes de communiquer avec d’autres, de trouver des moyens d’entrer en contact avec leurs âmes, avec ce qui les fait vibrer. L’enseignement m’a vraiment ouvert des portes et m’a fait découvrir ma propre façon de penser la musique, d’une manière toujours plus multiforme, parce qu’elle est teintée de tous ces gens différents qui trouvent leur propre voie dans la musique. Finalement, on peut dire que mes relations avec toutes ces personnes m’ont influencé.

 

  • Aimeriez-vous en dire un peu plus sur ce sujet ou développer certains de ces détails fascinants concernant vos influences et de votre approche de l’enseignement ?  

Pour moi, dans mon enseignement, je trouve qu’il est primordial d’utiliser le texte musical, et aussi toutes les informations que nous connaissons, historiquement, mais spécifiquement le texte, pour relier la musique au geste. Le geste est un moyen de tenir un discours et d’illustrer différentes façons de vivre le monde à travers la musique. Pour moi, cela se rapporte spécifiquement au corps.

Avant de jouer du piano, quand j’étais enfant, je dansais. Je pense que cela a influencé ma façon d’aborder l’instrument, parce que mon impulsion est de me demander : où se trouve le son dans mon corps ? Pour un chanteur, par exemple, presque tout ce qui est générateur de son se passe à l’intérieur. Une grande partie du chant consiste à imaginer comment une note est « placée » dans le corps, l’endroit où elle résonne. J’essaie de transposer cela au piano : comment le bras est-il placé, comme un arc, par exemple, et comment un arc peut-il être une analogie de la respiration, tout comme le bout du doigt est le point d’articulation de la parole ? À l’instrument, le centre du corps est le lieu de l’impulsion à l’origine de chaque intention. Ainsi, quand je parle de technique, c’est lié à quelque chose de très fondamental par rapport au texte et à ce que nous voulons communiquer à travers le son généré par le geste.

Donc, une fois que vous avez cette compréhension physique d’un texte musical, vous pouvez le jouer parce que vous le ressentez à chaque instant. Et chaque salle de concert, chaque acoustique requiert de communiquer différemment par le son, par le corps, et plus nous comprenons cela, plus nous possédons d’outils pour travailler.

De jouer beaucoup de musique de chambre exerce une énorme influence sur moi. Je joue souvent avec d’autres instrumentistes et avec des chanteuses et chanteurs. Or, le piano peut produire une sorte de « son blanc » sur lequel il faut imprimer des idées abstraites, alors que le violon, par exemple, a un son très spécifique. De la même manière, le son du violoncelle est très particulier, et vous recherchez ces sons dans un orchestre ou un ensemble de musique de chambre. Mais avec le piano, j’ai l’impression que nous devons trouver un moyen de faire apparaître les sons, comme un magicien, de faire de l’instrument quelque chose qu’il ne semble pas être, et une partie de mon enseignement consiste à imaginer, pour le piano, quelque chose qui lui est étranger. En d’autres termes, il ne suffit pas d’« être » un piano : est-ce un instrument à cordes ? Est-ce un chanteur ? Quel genre de chanteur ? C’est sur cela que repose une grande partie de mon enseignement : la performance incarnée et l’évocation sonore. Je pense que nous distinguons tous un son qui s’active, par opposition à un son qui ne fait que résonner. Je pense que cette communication immédiate, lorsque tout le monde vous comprend tout de suite à partir du son, me vient, par réfraction, de Julian Martin et de son professeur Fleischer, avec qui j’ai également eu la chance de travailler brièvement. Ce qu’il dit, c’est d’utiliser la réalité physique pour optimiser le son, pour créer ce lien direct entre l’intention et le son réel que nous entendons. Je pense beaucoup à cela, à ce concept.

Mais je crois aussi qu’à notre époque, nous devons être flexibles avec les idéaux. Interroger tout ce que nous pensons être vrai. Amener les étudiants à trouver quelque chose de sincère dans leur son, lorsqu’ils jouent, d’une manière incarnée, en découvrant le texte musical principalement par le son, comme un geste.

 

  • Est-ce que vous étendriez cela à toutes les composantes du son, comme vous l’avez déjà fait pour l’acoustique ? C’est à dire, par opposition à la reproduction numérique du son et sa réalité physique, sa matérialité ?

Absolument, entièrement. C’est là que réside pour nous l’intérêt de perpétuer cette forme d’art. Le son numérisé est une chose, mais lorsque vous assistez à un concert, il ne s’agit pas seulement de ce que vous entendez, mais de la sensation qui vous est transmise par l’instrument, par l’artiste et à travers l’artiste. Il y a quelque chose d’unique dans l’expérience de se retrouver à plusieurs dans une salle, installés dans une même vibration. Le fait d’être d’une certaine manière « en accord » avec la musique est l’une des seules choses qui, si nous nous y soumettons, nous rapprochent vraiment et nous relient à l’essentiel. Il y a probablement très peu d’occasions de vivre ce genre d’expérience dans le monde d’aujourd’hui, et les gens ont faim de cela.

Aussi, de voir tous ces étudiantes et étudiants qui veulent entreprendre le voyage me rend fier d’apprendre à leurs côtés, de les guider avec ce que j’ai pu retenir de mes propres expériences. C’est vraiment extraordinaire !

 

Rachelle Taylor

Avril 2022